Arche de Zoé : la désobéissance civile par le mensonge ?

Rien à corriger au billet précédent de ce blog, selon ce que l’on apprend jusqu’à ce jour.
Mais de ce que l’on a appris ces derniers jours (dont le reportage du journaliste Capa, etc.), quelques réflexions :

1 – De toute évidence, l’erreur était, dès le départ de l’opération, dès avril 2008, de nature éthique et non pas juridique : la démarche humanitaire consiste à chercher des familles pour des enfants pour lesquels il n’y a pas d’autre solution – et non pas le contraire.
Dès lors que l’association avait créé un mouvement d’adhésion et de candidatures d’environ 300 familles – ce qui ne dit long sur les objectifs finaux de l’association – l’objectif immédiat (avant fin 2007) était devenu de répondre à cette demande et de ne pas la décevoir, avant même d’avoir identifié les enfants.

Dans quelle organisation humanitaire aujourd’hui, décide-ton de faire signer un contrat – avec versement préalable de fonds – à des centaines de familles d’accueil avant même d’avoir identifié les enfants, un par un, pour lesquels la formule d’accueil à l’étranger est la plus adaptée ?

D’où l’invraisemblable attitude de dissimulation des objectifs, y compris au personnel tchadien engagé pour les accueillir, et une attitude de clandestinité vis à vis des autorités locales, en pensant d’une part rouler tout le monde sur place et mettre les autorités françaises devant le fait accompli.
Il y a des lustres que les ONG humanitaires ne pratiquent plus ainsi : si les responsables de l’opération avaient pris la peine d’écouter les personnes actives sur le terrain et s’étaient ouvertes à une collaboration pour évaluer la situation réelle, l’opération aurait été soit annulée soit radicalement repensée. Selon nos sources, le président de l’association s’est rendu pendant une semaine dans les camps de déplacés, côté Soudan, sans contact significatif avec les autres ONG – mais se rendant probablement compte que la « collecte d’enfant » ne pourrait se faire aussi facilement qu’il le pensait de ce côté, il s’est « rabattu » sur le côté tchadien (les familles françaises attendent…), avec les méthodes de manipulation et de mensonges dont le reportage du journaliste de l’agence CAPA a témoigné de manière ahurissante…

2 – On ne construit pas une opération dite de « désobéissance civile  » sur des mensonges tous azimuths :

– mensonges aux familles françaises, sur le statut d’orphelin des enfants, sur leur âge, sur leur état de santé, sur le danger imminent de mort, etc ;
– mensonges aux familles tchadiennes
, à qui personne n’a parlé d’un transfert de leurs enfants en France;
– mensonges au personnel tchadien
recruté sur place pour la prise en charge des enfants tchadiens à Abéché (c’est au moment de la fin de leur contrat, peu de temps avant le départ programmé, qu’ils ont appris l’objectif final de leur travail…. merci à eux d’avoir alerté la police immédiatement),
mensonges aux autorités tchadiennes et françaises, par la planification d’une opération destinée à les mettre devant le fait accompli.

3 – On ne peut que respecter la tristesse ou la colère, selon les cas, des familles françaises, mais elle doivent maintenant se rendre compte que si les enfants étaient arrivés en France, elles auraient vite compris que l’association les aurait larguées dans la nature, avec les frais d’avocats à leur charge pendant des années et des années (voir le dossier d’inscription pour les familles candidates). Ces frais juridiques ne concernaient pas seulement les frais de procédures et de recours interminables pour la succession des étapes juridiques à franchir : elles auraient pu devoir faire face à des plaintes de parents tchadiens, abusés par l’Arche de Zoé, afin de récupérer leurs enfants. Quel pataquès cela eût été ! Et quelle suites de souffrances…

4 – D’entendre l’avocat de l’association défendre ses responsables en déclarant que  » si les membres de l’association ont oeuvré dans l’illégalité, c’est dans une illégalité formaliste, et non pas une illégalité qui permettrait de penser à une quelconque escroquerie à l’humanitaire »… laisse pantois, car un juge se prononce sur la légalité d’une action et non sur des considérations morales.
On rappellera par ailleurs à l’avocat que l’action humanitaire se fonde sur une éthique, la plus élémentaire : la vérité sur la réalité des bénéficiaires, la compétence technique, la transparence à toutes les étapes d’une action… (Est-il vrai, entre autres questions, que le transport des enfants d’Abéché vers l’aéroport a commencé après l’heure du couvre-feu ? A-t-on idée de l’irresponsabilité que cela représente, ne serait-ce que pour les enfants ?) ;

5 – Last but not the least : comment est-il possible qu’il y ait encore des Français pour croire qu’on peut intervenir en Afrique comme au temps de la période coloniale, c’est à dire en prétendant pouvoir manipuler tout le monde et en se considérant comme quasi-propriétaire des personnes, dont des enfants qui ne comprennent rien à ce qui leur arrive ?

L’auteur de ces lignes, de retour de Mauritanie, s’est fait aborder vendredi dernier (02.11.07), en attendant un taxi dans une avenue de Nouakchott, par un boutiquier qui lui demande : « Vous êtes français ?«  – Oui. – « Vous travaillez pour une ONG ? «  – Oui. – « Vous venez chercher des enfants mauritaniens ?« . ???!!!???
De passage au port de pêche de Nouakchott, un vendeur de poisson : «  de la lotte ? du capitaine ? non ?« , et saisissant par le bras un adolescent de passage devant son étal, demande, avec un grand éclat de rire :  » Celui-là , vous voulez l’acheter ? »

On imagine mal l’impact que cette histoire invraisemblable a dans l’opinion publique africaine francophone… grâce aussi à Radio-France International, radio de grande qualité et de grande crédibilité, écoutée tous les jours dans le moindre village de brousse.

Et quand on pense à ces dizaines d’ONG qui, depuis deux ou trois générations, et après avoir commis des erreurs, subi des échecs, éprouvés leurs carences, ont fait tout un travail de professionnalisation et de formation, et dont le travail se trouve ridiculisé…

10 Responses to Arche de Zoé : la désobéissance civile par le mensonge ?

  1. André dit :

    – Arche de Zoé: l’enquête française élargie à l’escroquerie

    L’information judiciaire française sur le projet de rapatriement d’enfants du Darfour par l’Arche de Zoé a été élargie jeudi aux faits d' »escroquerie », suite au dépôt de plaintes par différentes familles d’accueil françaises, a-t-on appris de sources judiciaires.

    http://tempsreel.nouvelobs.com/depeches/societe/20071108.FAP7689/arche_de_zoe_lenquete_francaise_elargie_a_lescroquerie.html

    – Arche de Zoé: « L’Afrique de papa », c’est fini ?

    L’humanitaire serait-il le nouveau visage de la mission « civilisatrice » dont se croit investi le monde dit occidental? Les ONG sont-elles les nouvelles vitrines officielles des « bonnes âmes » des pays riches qui y voient l’opportunité de s’acheter un coin de paradis quitte à bafouer volontairement les principes régissant les pays?

    L’opération « Arche de Zoé » (dont le nom quasi-biblique laisse pantois) se révèle être à la fois le symbole de ce droit d’ingérence quasi-total que s’octroie une ONG, et des interventions récurrentes de la France dans ses anciennes colonies.

    http://www.rue89.com/2007/11/08/arche-de-zoe-l-afrique-de-papa-c-est-fini

  2. André dit :

    Ce soir, à partir de 17.00 aujourd’hui, sur le site de France Info , le débat en vidéo et en direct : “Engagement humanitaire : l’indignation suffit-elle ?”.

    Autour de Bernard de la Villardière, des dirigeants des principales ONG françaises ainsi que François Bugnion, conseiller diplomatique du CICR, Rony Brauman et Jean-Paul Ngoupandé, ancien premier ministre de la République Centrafricaine. Ce débat tournera autour de quatre thèmes :

    – Quelles référence pour l’action des organisations humanitaires : de la morale au droit ?
    – Le droit international humanitaire : un fondement universel à l’action en période de conflit armé.
    – Inconséquence humanitaire, respect d’une éthique et préservation d’un espace humanitaire indépendant.
    – De l’humanitaire romantique à un humanitaire professionnel : faut-il “labelliser” ou “certifier” les ONGs ?

    http://cicr.blog.lemonde.fr/

  3. […] L’Afrique pillée de tous les côtés ” ou encore : “Arche de Zoé : la désobéissance civile par le mensonge ?” ou encore : ” Des rats dans la Françafrique “ et enfin : ” Loi africaine sur […]

  4. […] ” Arche de Zoé : du bricolage avec l’humanité des autres “ ” Arche de Zoé… […]

  5. […] ailleurs, on a vu à l’oeuvre, dans la bande dessinée de l’”Arche de Zoé”, cette vision tout aussi idéologique – et donc truffée de mensonges aux communautés tchadiennes […]

  6. André dit :

    Affaire ARCHE DE ZOE: un scénario inattendu.

    Et revoilà l’affaire Arche de Zoé. Comme l’oiseau mythique, elle renaît de ses cendres. Mais d’une manière tout à fait inattendue. Et malheureusement avec pour enjeu la vie de deux femmes, deux humanitaires occidentales pourtant à tout le moins étrangères à cet imbroglio politico-judiciaire qui défraya la chronique dès le dernier trimestre de l’année 2007.

    La suite http://tinyurl.com/cfu6d9

  7. […] (1) : La désobéissance civile par le mensonge ? et (2)  : Du bricolage des uns avec l’humanité des autres […]

  8. […] (1) : La désobéissance civile par le mensonge ?
et (2)  : Du bricolage des uns avec l’humanité des autres […]

  9. Anonyme dit :

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