Le silence, communication éminente…

25.08.12

Extraits libres de l’ouvrage de
Maurice Maeterlinck,
intitulé  » Le trésor des humbles « 

 » Les abeilles ne travaillent que dans l’obscurité, la pensée ne travaille que dans le silence, et la vertu dans le secret. Il ne faut pas croire que la parole serve jamais aux communications véritables entre les êtres. (…)

L’instinct des vérités surhumaines que nous possédons tous nous avertit qu’il est dangereux de se taire avec quelqu’un que l’on désire ne pas connaître ou que l’on n’aime point : car les paroles passent entre les hommes, mais le silence, s’il a eu un moment l’occasion d’être actif, ne s’efface jamais et la vie véritable, la seule qui laisse quelque trace, n’est faite que de silence.(…)


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S’il vous est donné de descendre un instant en votre âme jusqu’aux profondeurs habitées par les anges, ce qu’avant tout vous vous rappellerez, ce qu’avant tout vous vous rappellerez d’un être aimé profondément, ce n’est pas les paroles qu’il a dites ou les gestes qu’il  faits, mais les silences que vous avez vécus ensemble.(…)

C’est parce qu’aucun de nous n’ignore cette sombre puissance et ses jeux dangereux que nous avons une peur si profonde du silence. Nous supportons à la rigueur le silence isolé, notre propre silence : mais le silence de plusieurs, le silence multiplié et surtout le silence d’une foule est un fardeau surnaturel, dont les âmes les plus fortes redoutent le poids inexplicable.(…)

Il est des êtres qui n’ont pas de silence, et qui tuent le silence autour d’eux ; et ce sont les seules êtres qui passent vraiment inaperçus.(…) Nous ne pouvons nous faire une idée exacte de celui qui ne s’est jamais tu. On dirait que son âme n’a pas eu de visage.(…)

Les âmes se pèsent dans le silence, comme l’or et l’argent se pèsent dans l’eau pure, et les paroles que nous prononçons n’ont de sens que grâce au silence où elles baignent. »


Maladie infantile, à travers les siècles…

12.07.12

Extrait des « Matins » de France-Culture du 10 juilllet dernier, le « Coup d’oeil » de Thomas Cluzel, à propos des Salafistes qui occupent le nord du Mali et détruisent les sites religueux de l’Islam régional :

«  Sur le site marocain « demainonline« , intitulé

« Au début était la lumière
puis vinrent les obscurantistes » :

         » Ce qui se trame à Tombouctou est proprement insupportable, il n’est point de mot pour le décrire. On souhaiterait que ce qui se commet là-bas le soit par des extra-terrestres, afin que l’on n’ait jamais un once de confession ou de communauté à partager avec ceux qui ont imaginé cette monstruosité. (…)

        Rien moins que neuf siècles d’un Islam tolérant et pacifique qui veillait paisiblement sur un joyau du patrimoine mondial de l’humanité, se trouvent aux prises avec une barbarie à nulle autre pareille, qui réduit les autodafés du troisième Reich, au rang de feu de camp d’une assemblée de scouts.

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        Un test grandeur nature, pour la détermination d’une communauté internationale dont la mollesse risque bien de pousser ces proches cousins des talibans à reproduire à l’identique, le modèle afghan en terre africaine.

        La conquête du territoire achevée, ils en sont déjà au troisième chapitre de leur ignominie, la séquence destruction, après avoir mené à bien, le second : la chasse donnée à leurs anciens alliés, les malheureux touaregs qui battent leur coulpe d’avoir introduit le loup dans la bergerie. La suite est courue d’avance. Les femmes devront en faire les frais, entre lapidation, interdiction d’école, imposition de la burqa, mariage forcé et autres persécutions.

        Pourtant, face à l’urgence, le reste du monde persiste à se gratter le menton ou le cuir chevelu et l’Unesco en conciliabule à Saint-Pétersbourg étudie le projet d’une improbable riposte. Pas de quoi impressionner « les fous de Tombouctou ». Disons le clairement, ceux qui accomplissent ce genre de forfaits n’ont rien à voir avec l’Islam, mais avec l’ignorance, la folie et l’obscurantisme.

        La caravane de l’Islam avait enveloppé de lumières et de richesses tous ceux qu’elle avait croisés, de la péninsule arabe aux rivages de l’Atlantique et aux confins de la Chine. Celle qui sévit au nord du Mali est une traîne de ténèbres et d’atrocités. On lui doit, faut-il le rappeler, les plus grandes tragédies de l’histoire de ces vingt dernières années et les attentats les plus sanglants menés, pour la plupart, contre d’innocentes victimes.

        L’Islam avait réussi à synthétiser intelligemment toutes les connaissances du genre humain, avant d’avoir l’intuition de celles qu’il allait concevoir et vulgariser. Les musulmans ont exploré tous les compartiments du savoir, de l’algèbre à l’astronomie, en passant par l’architecture, la médecine, les mathématiques, la peinture et le reste.

 

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  Les patios de l’Andalousie en sont un témoignage vivant. Ces havres de paix savamment imaginés et décorés par des artisans juifs, chrétiens et musulmans vivant ensymbiose, bruissent encore des clapotis de l’eau que ces derniers ont domestiquée pour que les oiseaux viennent y entonner des concerts et ravir les sens. Colonnes doriques, chapiteaux corinthiens ou zelliges sont autant de témoignages de tolérance, de gratitude et de reconnaissance de l’Islam aux civilisations qui l’ont précédé.

        Par opposition, l’aventure Salafiste est un concentré de sauvagerie, menée par des bandits de grands chemins incultes et ignorants qui se complaisent dans la destruction, la haine et la cruauté. Ils ont tout raté, jusqu’à accepter de s’enlaidir. Rien ne manque. Ni la barbe passée au henné, ni ces tenues venues d’ailleurs, ni la mine sombre et l’éructation menaçante.

       « Si tu ne bâtis point, tu éviteras de détruire ! », recommande expressement l’Islam. Ceux qui s’en prévalent ont pourtant procédé à la destruction de trente-trois mausolées et persistent, sur leur lancée criminelle à brûler des manuscrits séculaires, à infliger des coups de fouet aux couples d’amoureux et à interdire aux femmes l’accès à la place publique. Ils en promettent encore, tant et plus !

         A des milliers de kilomètres de là, des gérontocrates imbus de débauche, de stupre et de soûlographie, observent à distance le désastre qu’ils ont inspiré, depuis les repaires au luxe indécent qu’ils ont bâtis des deniers du peuple. Et comme tout lâche qui se respecte, ils se tiennent en embuscade, à bonne distance de l’empoignade, pendant que les seconds couteaux accomplissent les basses besognes  qu’ils leur ont imparties.
        Le monde, quant à lui, se tait, de peur de se mettre à dos ces pourvoyeurs de pétrodollars, ces maudits papiers dont on dit qu’ils finissent par acheter le silence et les consciences. (…) Mais l’expérience aura, une fois de plus, apporté la preuve de ce qu’on savait déjà : les Salafistes, ces obscurantistes d’un autre âge, qui prennent leurs ordres aux confins de l’Arabie, tels de sombres mafieux, sont les premiers pourfendeurs de l’Islam et son plus grand ennemi. Ils sont aussi sa plus grande honte.
       
A ce titre, ils méritent qu’on les combatte jusqu’à ce qu’ils cessent définitivement de nuire ! « 

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        A ce jugement définitif, on ajoutera que toutes les religions ont leur maladie infantile, dont les hérauts et chefs de croisades ne sont jamais animées de seules considérations religieuses : qu’on se souvienne des « Cathares » (les « purs »), de l’Inquisition, et des scissions au sein de la chrétienté, entre ceux qui considèrent le culte des saints comme une idolâtrie, dont il faut détruire toutes les représentations.

         Aucun crime n’en justifie un autre : il suffit simplement de rappeler que comme disait Raymond Aron « quand l’homme veut jouer au loup, il peut faire pire « , sans oublier que « qui veut faire l’ange fait la bête. »


Ce qui reste quand il ne reste rien ?

17.05.12

Il est des livres reçus en cadeau, mais qui « n’accrochent pas« , malgré de louables efforts…
Puis un jour, à la faveur d’une furie de rangement, on les retrouve, on les feuillette, et subitement… »ça parle… » sans qu’on puisse l’expliquer…
Ce sont parfois des textes qu’il ne faut pas seulement lire, mais ruminer… ce qui est tout le contraire de notre pratique quotidienne de la lecture sur ordinateur, car les mots et leur agencement répondent à une aspiration qui n’est pas éloignée de la poésie, non pas comme exercice de style, mais la poésie – même en prose – qui laboure nos émotions…

Exemple :

Extraits libres de « INCIPIT », de Maurice Bellet
Ed. Desclée de Brouwer – 1992

  » Qu’est-ce qui reste quand il ne reste rien ?  Ceci : que nous soyons humains envers les humains, qu’entre nous demeure l’entre nous qui nous fait hommes.

Car si cela venait à manquer, nous tomberions dans l’abîme (…) de l’inhumain ou du déshumain, le monstrueux chaos de terreur et de violence où tout se défait. Cette mutuelle et primitive reconnaissance, c’est en un sens le banal et l’ordinaire de la vie.

C’est ce qui s’échange dans le travail partagé, dans les gestes simples de tendresse, dans les conversations au contenu peut-être dérisoire, mais où pourtant l’on converse, face à face, présents pour s’entendre.

C’est ce qui subsiste et resurgit dans les situations extrêmes (…) Alors il arrive qu’un presque rien, la lumière d’un visage, la musique d’une voix, le geste offert d’une main, tout d’un coup disent tout.(…)

Parole, primordiale parole où se désigne l’humain de l’humain. Elle peut être sans mots, dans l’aube impalpable du langage. Et si les mots la disent, ils sont chair et esprit, pétris d’une substance qui les exhausse au-dessus du langage ordinaire. (…)

Ce qui sépare l’humain de l’inhumain est ce sans quoi il n’y a pas d’humanité. Ou encore : sans cette primitive donation réciproque, qui donne à chacun visage, voix, nom, nous ne sommes pas.(…)

Cette relation si primitive qu’on ne sait comment la nommer ne repose ponit sur ceci ou cela, c’est tout le reste qui repose sur elle. (…) C’est en amont de ce que nous nommons morale ou éthique, parce qu’avant d’être exigence, c’est donation. C’est en amont du politique qui, sans cette référence, est livré au meurtre. Vertige : tout pour nous repose sur cette pointe insaisissable, naissance d’humanité. En venir là et s’y tenir, c’est tourner la page, c’est sortir des querelles, c’est venir à ce point de fusion où tout ce qui soutenait les grands édifices s’absorbe en ce pur commencement.(…)

A la très humble et infime origine correspond le déploiement que rien ne retient plus.

Que nous est-il arrivé ?

Nous venons de cette modernité qui a voulu sortir des âges obscurs de l’humanité ; son oeuvre a été prodigieuse, nous ne sommes, nous en vivons. Mais qu’advient-il dans l’aventure, de cet infime ce-sans-quoi nous ne sommes pas ? (…)

Les idées, projets, institutions sur lesquels on faisait fond révèlent leur fragilité, ou pire : leur complicité obscure avec ce qui nous détruit. (…) C’est comme si, par-dessous ce que nous avons bâti, se faisait entendre l’étrange ébranlement ; comme si l’abîme menaçait de s’ouvrir sous le sol où nous marchons encore. (…) Mais nous garderons assez confiance pour laisser s’éveiller tout l’arrière-fond de ce que nous sommes, nous ne craindrons pas l’humanité qui nous habite. (….)

Tout ce que l’homme moderne posait en face du religieux, du côté de la raison, science, révolution, etc., part dans le même mouvement qui emportait ces vieux édifices de la croyance. Défaire les appuis ! (…) Mais du coup, le mouvement s’inverse. De ce point tout surgit. (…) Il n’y a rien à ajouter à cet infime et pur commencement ; surtout pas ce qui fonderait, justifierait, expliquerait, etc. (…) Il est bien vrai que mettre cette humanité au principe de l’homme, c’est affronter, c’est faire se lever tout ce qui, parmi nous, n’en veut pas. Cet homme est dans le singulier – pas dans l’abstraction. Il est dans la venue à rencontre – pas dans ce que nous nommons histoire. (…)

Tout ce qui a paru de l’irrépressible présence (…) n’est pas à part et ne met pas à part. Il ne peut être que ce qui rend tout homme proche. Pas un universel surplombant et triomphant – celui-là exclut plus férocement que tout – mais l’hospitalité infinie (…)

S’il y a séparation, ce ne peut être qu’avec ce qui tue, avec le meurtre. Et le meurtre est partout où, de quelque façon, l’homme est meurtri, et spécialement en ce qui lui est si précieux : sa façon précisément d’être homme, de se supporter d’être humain. (…)

L’amour peut devenir prétexte aux pires intolérances – il a tous les droits puisqu’il aime. Et on sait ce qu’on a pu faire du Dieu d’amour.

Tout devrait aller, ici, vers cette naissance d’humanité, sans cesse commençante par-delà la tristesse et la mort, qui est le déploiement de toutes les puissances de l’être humain, et de chaque être humain dans sa différence singulière. Or sans cesse, tout est repris par la pesanteur, se dépose en lourdeurs, dans les chemins usés ; ou même dévie et se détourne. (…)

Mais ce qui demeure la loi et le principe critique en tout ce déploiement, c’est ce très humble commencement où l’homme reconnaît en l’homme son proche.(…)

C’est pourquoi toujours il est nécessaire de repasser par l’origine ; et c’est à quoi doit s’employer ce moment si capital de nos vies, le moment par excellence gratuit et inutile, être tournés par là, sans rien prétendre, sans vouloir et sans pensée, seulement libres dans le don qui nous donne d’être.

Quant à la façon, chacun verra. « 


Tectonique du séisme égyptien selon Gilles Kepel

15.01.12

Dans la séquences des « Matins » de France-Culture, le 12.01.2012 ,
Gilles Kepel, spécialiste de l’Islam et ses pays musulmans,
s’exprime ainsi, avec, nous semble-t-il, une grande pertinence :

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                (…)  » Le premier Parlement de la Révolution (égyptienne) comportera trois quarts des députés qui seront issus des partis islamistes. Le reste ira à des laïcs et à quelques personnalités de l’ancien régime. Mais la véritable surprise vient du « Parti de la Lumière« , une coalition de mouvements Salafistes qui obtient plus du quart des suffrages.
Dans les circonscriptions populaires, les immenses banlieues d’habitats spontanés oubliés du développement, où des millions de migrants ruraux s’entassent et prolifèrent dans des bicoques de briques crues, c’est là que les Salafistes l’emportent haut-la-main, loin devant les Frères Musulmans.
Ceux qui n’ont rien, les misérables que personne n’a jamais écoutés ni entendus en haut lieu, mais que les pouvoirs successifs ont toujours réprimés et ont toujours relégués loin des regards, soudain ont fait entendre avec une force extraordinaire leurs voix pour dire un non absolu à toutes les solutions humaines et pour s’en remettre à ceux qui veulent appliquer à la lettre la Charia, la loi islamique.
En dissimulant le visage des femmes par le « niqab« , le voile facial noir, dans un environnement où la promiscuité et le chômage sont des menaces quotidiennes, les Salafites défendent  l »honneur familial ». En recommandant pour les hommes le port d’une longue barbe et d’une tunique flottante, il expriment d’abord le rejet du costume européen des élites et des valeurs européennes de développement où ils n’ont vu, en ce qui les concerne, qu’une aggravation de leur misère. La loi sur la parité, qui est une importation occidentale pour les élections, a imposé des candidates : celles des Salafistes ont remplacé sur leurs professions de foi électorale leur photo par celle de leur époux ou par une fleur stylisée.
Les Salafistes sont l’expression d’une population marginalisée dont les seuls repères culturel sont une foi intense et exclusive qui est transmise ici exclusivement par les mosquées.

La Place Tahrir pendant la révolution

                    (Cette coalition salafiste) est un mouvement de bric et de broc, comme les endroits où beaucoup d’entre eux habitent, puisque leur coalition a été soudée par le refus radical des lois humaines, mais elle est aussi profondément divisée sur les lois que maintenant devra voter, hic et nunc, la centaine de députés Salafistes. Certains groupes salafistes se réclament des groupes islamistes radicaux qui avaient assassiné Sadate en 1981, mais la plupart d’entre eux – et c’est là un vrai paradoxe – incarnent le respect de l’ordre au nom d’Allah et ils interdisent strictement de se révolter contre le souverain musulman tant qu’il ne contrevient pas explicitement aux injonctions coraniques. C’est pourquoi le régime Mubarak, qui est pourtant aujourd’hui l’abcès de fixation de tout ce que la révolution rejette, avait encouragé la prolifération des Salafistes dans les quartiers déshéritées, parce qu’il y voyait un garant de l’ordre public, et d’autre part comme un rempart contre un danger plus grand, parce que plus politique, la montée des Frères Musulmans.

                  Tout le monde prévoyait que les Frères Musulmans sont les grands vainqueurs de ces élections, mais ce que l’on ne prévoyait pas, c’est qu’ils sont profondément embarrassés par leur victoire. Ils sont confrontés aujourd’hui à une crise économique imminente, sans précédent, dans un pays de 85 millions d’habitants, dont la plupart des banquiers prévoient que début mars prochain, le pays sera en défaut de paiement. On a rarement vu un vainqueur des urnes moins pressé de jouir de sa victoire… Leurs dirigeants viennent de proposer que le gouvernement de technocrates reste en place jusqu’aux élections présidentielles de la fin du printemps et à cette élection, ils ont annoncé qu’ils en présenteraient pas de candidats issus de leurs rangs.
L’armée qui demeure, face aux Frères Musulmans, la seule force organisée, mais qui n’a pas su gérer l ‘usage de sa force après la chute de Mubarak, la  hiérarchie militaire est considérée aujourd’hui par la plupart des Egyptiens comme comptable de l’effondrement du pays qu’elle a dirigé d’une main de fer depuis pls d’un demi-siècle et elle est contrainte aussi au profond renouvellement de ses structures et de ses méthodes, alors qu’elle se rouve sous pression.

Les députés Frères Musulmans au Parlement égyptien

                  (…) Les Frères(musulmans) ont aussi été affectés en profondeur, malgré les apparences en surface, par le bouleversement en profondeur qu’a déclenché la révolution. Le carcan de leur idéologie qui rassurait leurs militants et qui rassirait les cadres et aussi leurs électeurs qui ont voté pour le changement et contre le chaos selon eux, ce carcan a craqué sous l’effet des aspirations démocratiques. Au moment où les frères sont contraints de se transformer en gestionnaires de la chose publique, il va falloir qu’ils fassent en profondeur leur aggiornamento, parce qu’ils sont pris entre l’enclume des exigences salafistes qui est porté par le désespoir social, et de l’autre par le marteau des réalités économiques et culturelles du XX ème siècle. et les classes moyennes libérales qui ont eu peu de voix restent quand même les principaux vecteurs , dans l’Egypte d’aujourd’hui, de ces valeurs, de ces réseaux et de l’accès au monde. Et l’un des critères de cet aggiornamento des Frères Musulmans, ce sera leur rapport avec les Coptes, qui sont les Chrétiens indigènes de la vallée du Nil et qui font 10 % de la population égyptienne d’aujourd’hui. »

                      Il faudra progressivement confronter ces analyses – transcrites sur ce blog parce qu’elle nous paraissent parmi les plus pertinentes de ce que l’on peut lire ou entendre – avec les évènements qui vont inévitablement se développer dans les mois et les années à venir.

                      Si la population, et notamment les nouvelles générations diplômées ne voient pas plus de débouchés et de promotion sociale et économique avec un régime dirigé par des islamistes, Frères Musulmans ou Salafistes, nul doute que la volonté révolutionnaire réapparaîtra.

                     Mais quand ? Cela peut prendre le temps d’une génération…

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Sur  » Qui sont les Frères Musulmans ? « , voir ce site :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A8res_musulmans 

Sur  » Qui sont les Salafistes ?  » , voir ce site :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Salafisme 

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Bibliographie de Gilles Kepel :

  • Le Prophète et le Pharaon / Aux sources des mouvements islamistes, Le Seuil, 1984.
  • Les Banlieues de l’Islam. Naissance d’une religion en France, Le Seuil, Paris, 1987.
  • La Revanche de Dieu : Chrétiens, juifs et musulmans à la reconquête du monde, Le Seuil, 1991.
  • À l’Ouest d’Allah, Le Seuil, Paris, 1994.
  • Jihad. Expansion et déclin de l’islamisme, Gallimard, Paris, 2000.
  • Chronique d’une guerre d’Orient, Gallimard, Paris, 2002.
  • Fitna. Guerre au cœur de l’Islam, Gallimard, Paris, 2004.
  • Terreur et martyre, Flammarion, Paris, 2008.

Direction d’ouvrages collectifs

  • Les musulmans dans la société française (avec R. Leveau), Presses de Sc. Po, 1988.
  • Intellectuels et militants de l’islam contemporain (avec Y. Richard), ed. du Seuil, 1990.
  • Les Politiques de Dieu, Ed. du Seuil, 1992.
  • Exils et Royaume / Les appartenances au monde musulman, Presses de Sc. Po, 1994.
  • Al-Qaïda dans le texte, (avec J-P. Milelli), aux Presses universitaires de France, 2005.

De l’air frais chez le Dalaï-Lama

30.08.11

Extrait de l’interview paru dans « Le Monde » du 2 août 2011 :

              (…) Vous venez de séculariser les institutions du Tibet en exil en imposant  la distinction entre l’autorité religieuse du dalaï-lama et la direction politique de la communauté. Pourquoi ?

             C’est une longue histoire ! Depuis mon adolescence, disons l’âge de 13 ou 14 ans, j’avais perçu les défauts du système du gouvernement tibétain. Le pouvoir ultime était concentré entre très peu de mains. Après notre exil en 1959 en Inde, j’ai commencé la démocratisation des institutions. En 2001, le premier ministre devenait ainsi élu. A partir de cette date, ma position personnelle était celle d’une semi-retraite politique. En début d’année,  il y a eu une campagne pour l’élection d’un nouveau premier ministre. J’ai noté que les communautés en exil dans les pays libres étaient actives et désireuses de participer à l’élection et que les candidats étaient de qualité. J’ai alors décidé qu’après dix ans de semi-retraite, il était temps que je prenne une retraite politique complète.

         Mais au-delà de votre personne, vous bouleversez l’institution du dalaï-lama ?

         Oui, il ne s’agit pas seulement de ma retraite personnelle.  Il s’agit de mettre un terme à une tradition de près de quatre cents ans en vertu de laquelle le dalaï-lama était automatiquement doté de l’autorité politique. J’ai toujours pensé qu’il fallait séparer les fonctions de chef politique et de dirigeant religieux.  Il eût été hypocrite de ma part de ne pas appliquer à moi-même cette conviction. Il est archaïque qu’un pays soit dirigé par un roi ou un chef religieux. La meilleure manière de diriger un peuple est la voie de l’élection. Depuis mon enfance, j’admire les institutions démocratiques.

          Dans quel état d’esprit avez-vous pris cette décision ?

          Il est important de conserver l’institution du dalaï-lama qui est une institution religieuse historiquement importante chez les Tibétains. Mais afin de la rendre moins controversée, il faut la séparer du pouvoir politique. Cette décision, je la prends volontairement et avec bonheur et non par découragement ou désespoir. Si l’institution du dalaï-lama avait  dû prendre fin dans la controverse, cela aurait été un déshonneur. Et je pense que la fonction du dalaï-lama, débarrassée de son autorité politique, peut être plus utile sur le plan religieux. » (…)

          A priori et spontanément, on ne peut qu’être surpris de ce discours et qu’une démarche perçue comme historiquement normale dans une perspective occidentale ait pris autant de temps à se concrétiser chez un leader asiatique qui parcourt le monde depuis 40 ans…
Mais il est fort possible aussi que, même animé depuis toujours de ces convictions, le dalaï-lama ait longtemps jugé prématuré de scinder les deux pouvoirs et de créer ainsi une dyarchie avec risques de conflits internes dans un peuple contraint à l’exil, c’est à dire contraint aux symboles identitaires à défaut de territoire…

Toujours est-il que cette analyse devrait être diffusée en Iran, ou « taggée » sur les murs de Téhéran, ou envoyée par Youtube en Afghanistan, au Warizistan, chez les « new-born christians » américains, et autres radicaux intégristes religieux de tous horizons…


L’humanité, selon Goethe

17.08.11

Extrait de l' »Anthologie de la littérature allemande »
(Ed. Delagrave – 1932 – page 177)
cette réflexion intitulée
 » Bornes de l’humanité »
(« Grenzen der Menschheit« ) :

 

           (…)   » Aucun homme, quel qu’il soit, ne doit se mesurer avec les dieux. S’il se dresse vers le ciel et touche les astres de sa tête, ses pieds incertains ne trouvent alors d’appui nulle part et il deveint le jouet des nuées et des vents.
              Si de ses membres fermes et vigoureux il se tient sur le sol inébranlable et immortel de la terre,  il n’arrive pas seulement à égaler le chêne ou la vigne.
             Où est la différence entre les dieux et les hommes ? C’est que devant les premiers bien des vagues s’écoulent en un flot éternel : nous autres, la vague nous soulève, la vague nous engloutit, et nous disparaissons.
             Un petit cercle enferme notre vie, tandis que des milliers de générations s’ajoutent incessamment à la chaîne de leur existence. »

Rien à ajouter, n’est-ce pas ?


L’humour dans les sculptures romanes et gothiques ?

13.05.11

Dans les sculptures de cathédrales du Moyen-Age,
comment interpréter les figurines d’apparence secondaire,
dont l’expression tranche parfois sèvèrement
sur ce que l’on imagine vouloir signifier
dans un édifice religieux…

Qu’est-ce que cet ange peut bien entendre – et comprendre –
en tendant l’oreille comme il le fait,
au-dessus de la porte d’entrée principale
de Notre-Dame de Paris ?

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Demandent-ils aux saints et évêques, en leur servant de socle,
de considérer leur « simple » humanité

et d’intercéder pour eux dans le Ciel ?

 

Ce dernier semble avoir une couronne de roi…

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Visiblement la charge est lourde…

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Celui-là a plutôt l’air d ‘aller au boulot…

et celui-ci préfère-t-il jouer l' »Auguste » ?

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Peut-être les sculpteurs se représentent-ils eux-mêmes,
avec l’humour dont ils prennent la liberté ?

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Les étudiants de la toute nouvelle Sorbonne
se moquaient-ils déjà de leurs profs ?

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Toutes ces photos ont été prises
sur le portail d’entrée
de Notre-Dame de Paris.


Petite fugue à Rome …

20.11.10

De passage à Rome…
en une petite demi-journée
et au pas de charge :

Saint Pierre tient la permanence
de l’accueil depuis 2000 ans
avec les clés de la ville.

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Quel  » marché  »  y-a-t-il pour les soutanes de cardinaux ?
Il n’y a  que 150 cardinaux…

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Dans la pinacothèque du Musée du Vatican,
certains petits tableaux de peinture
donnent le sentiment d’être
de véritables photos prises sur le vif :

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Que fait Voltaire sur un petit tableau au Musée du Vatican ?

 

 

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La Galerie de Cartographie : 120 mètres de long…
où l’on découvre ce qu’était Venise au 15 ème siècle :

et la ville de Gênes :

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Dans la Chapelle Sixtine,
que l’on traverse à la seule lumière naturelle,
et que l’on dit menacée
par la pollution des milliers de touristes quotidiens …

Extrait du Guide des Musées du Vatican :

                  (…)  » La création d’Adam suscita une grande admiration aussi de la part de ses contemporains car ils purent voir l’un des idéaux les plus élevés de la culture de la Renaissance : celui de l’homme à l’image de Dieu. Dans les sermons que les prêcheurs prononçaient dans la Chapelle, l’exaltation des facultés intellectuelles et spirituelles  de l’homme n’était jamais séparée de celle de la beauté du corps, miroir du divin et sommet de la Création. 
                             Malgré cela, l’homme sans Dieu n’est rien et cette pensée est très bien exprimée par l’artiste qui représente, sur un fond indéfini comme si c’était l’aube du monde, la jeune figure d’Adam qui tend le bras vers celui de Dieu, lequel semble voler dans un drapé. Représenter les deux index tendus l’un vers l’autre est une idée extraordinaire : ils sont représentés juste avant qu’ils ne se touchent, métaphore de l’énergie vitale qui passe du Créateur à la créature. » 


Les saints ne sont pas des héros (et réciproquement)

17.09.10

Le film de Xavier Bauvois,  » Des hommes et des dieux  » a été tellement promu, loué et vanté qu’en le visionnant, on finit par trouver des longueurs, tant on avait entendu parler de telle ou telle scène…

Mais l’essentiel est ailleurs : il est dans cette  progression collective longue, pénible, faite d’autant de silences que de paroles, d’une décision collective de ne pas fuir un situation dont ils sentent chaque jour un peu plus que leur vie est en jeu.
Apparaît alors chaque personnalité au cours de chacun des trois repas qui scandent ce film, mais dans une progression qui fait apparaître que c’est ensemble qu’ils sont le plus libres. Rester ne peut être qu’une décision collective, mais à aucun moment on a le sentiment d’une pression quelconque du groupe sur la décision de chacun.

A cet égard, le troisième repas est un chef-d’oeuvre d’humanité : la joie d’avoir pris ensemble une décision collective, comme si elle était une liberté conquise sur l’individualisme, comportement qui serait considéré comme naturel devant le risque de mourir. Cette liberté de chacun d’adhérer sans aucune pression à la décision collective d’affronter le destin, par définition inconnu, était la suite logique de leur choix initial de s’engager dans une communauté monastique.

Source photo

Leur décision a été prise collectivement au niveau de ce qu’on appelle leur « raison d’être ».
Rien que d’avoir réussi à montrer/suggérer cela dans un film, en fait un chef-d’oeuvre.

Une scène montre les hélicoptères de l’armée algérienne tournant autour du monastère à basse altitude : on peut y voir la suggestion de la thèse très plausible, de  l’erreur de l’armée algérienne qui aurait mitraillé les moines en pensant mitrailler les terroristes. Le fait de ne retouver que les têtes des moines décapités ne serait qu’un subterfuge pour faire disparaître les corps criblés de balles…

Le film se termine par le plan fixe des moines, entourés de terroristes armés, s’éloignant lentement, montant le chemin, dans la neige, vers ce que l’on pense être leur éxecution : la disparition progressive des moines dans le brouillard d’une montagne enneigée semble  une allusion évidente à la montée du Christ vers le Golgotha, et quelque chose du genre  » Nuit et brouillard « .

Comme le disait Odon Vallet
dans une émission radiophonique à propos du film,
 » les saints ne sont pas nécessairement des héros. « 


Minarets, clochers … même combat

6.03.10

Extraits de l’excellent blog du physicien Christian de Singer, Conseiller National (= Député) suisse :

(…) En 1536, les Bernois qui occupent le canton de Vaud décrètent l’interdiction complète du culte catholique, sauf dans le district d’Echallens, baillage commun de Berne et Fribourg.
Les catholiques lausannois devront attendre 3 siècles pour bâtir en 1832 leur première église « Notre Dame du Valentin », et encore, sans pouvoir ériger un clocher!
Une loi de 1810 leur avait enfin accordé la possibilité d’ouvrir une salle de culte, mais à condition que l’édifice n’ait pas l’apparence extérieure d’une église.
«Le bâtiment où se célébrera le culte n’aura ni cloche, ni clocher, ni aucun signe extérieur de sa destination.»
Une interdiction semblable était aussi en vigueur dans d’autres cantons à majorité protestante.
Les préjugés anticatholiques y étaient vivaces, on leur reprochait, comme aux musulmans aujourd’hui, de dépendre de l’étranger, de ne pas respecter la liberté de conscience et la liberté de la presse, d’avoir trop d’enfants… On critiquait le caractère autoritaire et passéiste d’une religion ne respectant pas la liberté individuelle!
Et certains Cantons catholiques appliquaient les mêmes restrictions aux protestants: on tolérait des lieux de culte pour les confessions minoritaires, mais sans clocher.
Ces discriminations ont précédé et favorisé la guerre de religion du Sonderbund entre Cantons catholiques conservateurs et Cantons protestants plus progressistes.
Même si, la guerre terminée, la Constitution vaudoise de 1861 assure la liberté de culte, ce n’est qu’en 1935 que « Notre Dame du Valentin » eut son campanile.


(…)
Et le Conseiller National d’ajouter à propos du référendum suisse contre les minarets :

On ne peut nier qu’il y ait des musulmans fanatiques, qui n’apprécient pas nos institutions et n’ont aucune envie de s’intégrer: ils aimeraient importer chez nous bourka, charia …
Mais ils sont une petite minorité et l’interdiction des minarets, loin d’être un signal contre ces extrémistes, risque de contribuer à la marginalisation et à la radicalisation de nombreux jeunes musulmans qui ne comprendraient pas cette inégalité de traitement.
C’est en refoulant les gens dans la marginalité qu’on les pousse au fanatisme.
De nombreux pays à majorité musulmane, tels l’Indonésie, acceptent la construction d’églises avec un clocher.
Nous n’allons quand-même pas imiter les plus intolérants, qui l’ interdisent !
(…)

On y ajoutera que la plupart des pays musulmans acceptent la constitution d’édifices d’autres religions, sauf l’Arabie Saoudite, et qu’un pays comme l’Egypte, qui interdit l’adoption internationale comme dans tout pays musulman, reconnaît pourtant cette pratique sour son sol pour des ressortissants de religion et de nationalité étrangères…

Lorsqu’on demandait à Edmond Kaiser,  fondateur de l’organisation Terre des hommes, s’il était possible d’améliorer la nature humaine, il répondait : «  Oui, on peut améliorer les comportements de ses contemporains. Le problème est que ces progrès ne sont pas héréditaires…« 

Les églises catholiques, interdites de visibilité
pendant 3 siècles en Suisse (de 1535 jusqu’en 1832…),
les minarets des mosquées en 2010…