Lettre ouverte à Maître Fatimata M’Baye

Maître,

Evidemment le factotum qui, dans l’avion du 11 mars dernier en partance de Roissy vers Nouakchott, vous a intimé l’ordre de retourner à votre siège pour avoir protesté contre le traitement d’un expulsé conduit de force dans l’avion, puis appelé ses chefs pour vous faire descendre et vous mettre en garde à vue (ce que vous décrivez dans cette vidéo)…. ce factotum, disions-nous, ne savait pas – parce que ce n’était pas inscrit sur votre front – que vous êtes avocate, Vice-Présidente de la Fédération Internationale des Droits de l’homme, de l’Association Mauritanienne des Droits de l’homme, récipiendaire du Prix des Droits de l’homme de l’Université de Nuremberg (1999), avocate dans plusieurs juridictions pénales internationales, et militante au point d’avoir croupi 9 mois dans les geôles mauritaniennes pour avoir promu les mêmes droits dans votre pays. Car vous savez aussi, mieux que nous, ce qu’il en est du respect des droits humains dans certains pays africains.

Mais il faut vous dire – et vous l’aviez probablement lu dans les journaux – que la nouvelle France, celle de la « rupture », a décidé de créer un Ministère de de l’immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement Solidaire (il y a des fois où l’accumulation des mots révèle de l’embarras, non ? Ce n’est plus un Ministère, c’est un train de marchandises…).

Même le gouvernement du Maréchal Pétain (1940-1944) n’avait pas osé faire un Ministère de l’Identité nationale : il n’avait osé qu’un Ministère de la Reconstruction Nationale, co-listier d’un Secrétaire d’Etat aux Colonies. Les choses au moins étaient claires, sans noyer tout cela dans le charabia du Développement Solidaire…
Ces postes étaient occupés par des titulaire successifs aux noms totalement oubliés, noyés qu’ils ont été dans une idéologie fasciste. L’anonymat historique menace idemement le sieur Brice Hortefeux, actuel responsable de la sauvegarde de l’identité nationale : en effet, son mandat est de faire du chiffre d’expulsions d’étrangers. Ce n’est évidemment qu’une posture idéologique et le destin misérable des idéologies est de mourir noyé dans les statistiques, forme moderne du mensonge : c’est une question de temps.

En réalité, la vieille France, dont vous maîtrisez parfaitement la langue et les valeurs qu’elle a portés dans l’Histoire, semble ne pas avoir encore « digéré » l’éloignement progressif de sa période coloniale. Vous aurez remarqué que dans les troubles récurrents des banlieues françaises ces dernières années, la chasse aux étrangers s’acharne essentiellement sur « les Arabes et les Noirs ».
On n’a pas beaucoup entendu dire que les Chinois, les Kosovars ou les Guatémaltèques posaient des problèmes particuliers dans les banlieues.
…Tenez … au passage, saviez-vous que le mot « banlieue », signifie le lieu du « ban », (« espace de juridiction-environ une lieue-autour d’une ville dans lequel l’autorité publiait les bans et avait juridiction ») ce qui était aussi la limite géographique du bannissement – vous l’avez certainement appris dans vos études de droit – et qu’au Moyen-Âge, en Europe, la sanction pénale la plus courante n’était la prison mais précisément le bannissement, c’est à dire l’interdiction d’entrer dans n’importe quelle ville.
On voit qu’aujourd’hui, les aéroports sont devenus les nouvelles vraies frontières, lieu du bannissement des Africains…

Par ailleurs, on a vu à l’oeuvre, dans la bande dessinée de l' »Arche de Zoé », cette vision tout aussi idéologique – et donc truffée de mensonges aux communautés tchadiennes comme aux familles françaises candidates à l’accueil d' »enfants du Darfour » – qui consistait à se comporter comme si les Français avaient le droit, revendiqué comme « moral », d’intervenir, n’importe quand, pour n’importe quelle raison, et n’importe où dans vos pays d’Afrique pour y « labourer le terrain », ce terme n’ayant pourtant plus de connotation géographique depuis les indépendances. Et puisqu’on n’est plus propriétaire de la terre, on prétend cependant disposer à volonté des enfants qui y survivent… pour que des familles françaises – payantes – aient le sentiment d’honorer les droits de l’enfant. C’est le monde à l’envers, ou comme disent joliment les Anglais : « upside down« …

Vous êtes peut-être aussi au courant de l’histoire de ce jeune maire d’une commune camerounaise, nouvellement élu en septembre dernier, arrêté devant ses administrés début mars de cette année, et toujours incarcéré à ce jour, quelque part du côté de Douala, pour avoir exigé que les multinationales françaises de la banane – qui l’avaient menacé de mort par téléphone – payent des impôts locaux, ce dont elles s’étaient exemptées d’office depuis 30 ans.
Mériterait d’être défendu avec la médiatisation qui s’impose.
« Arche de Zoé » et multinationales françaises, même combat…

On ose croire – sauf erreur – que les fonctionnaires coloniaux Français qui géraient votre pays sous la forme des « Groupements Nomades » ne se comportaient pas ainsi, probablement trop préoccupés à survivre eux-mêmes dans les conditions extrêmes du désert, où l’on faisait probablement peu d’idéologie, car comme disait Lawrence d’Arabie :  » Dans le désert, les mots ont des contours nets « .

Vous voilà donc poursuivie pour « trouble à l’ordre public », ou quelque chose comme ça, alors que la liste s’allonge, presque quotidiennement, des Africains qui se noient dans les fleuves ou se jettent par les fenêtres lorsque la police française les poursuit, et que des enfants sont désormais détenus dans les centres de « Rétention » qui, tout administratifs qu’ils soient, n’empêchent pas qu’une cellule est une cellule.
Et en matière de cellules, vous en connaissez un rayon.

On va finir par se demander si le drapeau des droits de l’homme, brandi quotidiennement « urbi et orbi« , n’est pas devenu, en France, une gigantesque fumisterie, qui perd toute crédibilité, qu’il s’agisse de la chasse sauvage aux immigrés, des interventions militaires, ou encore – on fait toujours plus raffiné – des commandos de Zoé humanitaires.

Pour avoir le plaisir de travailler occasionnellement avec vous depuis plusieurs années, on se dit que ce sont peut-être – et d’abord – des militant-e-s comme vous qui portent véritablement la flamme des droits humains où que ce soit, dans votre pays comme ailleurs, y compris en France.

Car seul-e-s, celles et ceux qui en ont été privés sont experts en droits humains.

Soyez assurée, Maître, de notre totale solidarité.

3 Responses to Lettre ouverte à Maître Fatimata M’Baye

  1. Jean-Pierre Papart dit :

    Cher Bernard,

    Merci pour cette excellente initiative de solidarité avec une grande collègue (droits de l’enfant).
    J’apprécie aussi fortement ton analyse de la relation entre le passé colonial et l’actualité de l’Arche de Zoé.

    Jean-Pierre

  2. renate winter dit :

    Si je me rappelle bien, il y a toujours un Code de Procedure Penale en France, non?

    Et la mise en garde a vue est reglee dans ce code, n est ce pas? et si je me rappelle encore correctement , c est ni un « factotum », ni ses superieurs qui peuvent faire mettre quelqu un en garde a vue. Un protocle doit donc exister ainsi qu une decision d une personne competente pour le faire.
    Il serait interessant de voir, comment le fait de quitter son siege et protester contre le traitement d une autre personne ait pu donner une base legitime pour une garde a vue!
    Toute ma solidarite avec Mme le maitre

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